De la bonne impression

Ma redécouverte du site du designer Mark Simonson éveille de

vieux souvenirs
De la lointaine époque où, dans le milieu du fanzinat ou de l'affichisme amateur, trouver une jolie typographie était toute une épreuve. Bien sûr, on pouvait s'en remettre à la calligraphie, mais parfois, il manquait la touche de professionnalisme qui serait immanquablement apportée, on n'en doutait pas une seconde, par de jolis caractères bien formés.


L'on avait alors le recours possible aux transferts à sec, en croisant les doigts pour disposer de chaque lettre en nombre suffisant (une erreur était difficilement rattrapable¹, et même sans cela, certains mots demandaient toujours des combinaisons bizarres qui, comme par un fait exprès, refusaient de se trouver réunies sur une seule planche de transferts). Et puis, lorsque le prix des kits devenait trop lourd, venait le recours au bon vieux système D.

Les catalogues de planches Mecanorma ou Letraset étaient justement illustrés de jeux complets de chaque fonte. Aubaine ! Tous ces caractères offerts à la photocopieuse, au découpage, au remontage... Aubaine.
Alors oui, c'était mal; j'imagine que les catalogues ont été ensuite dotés de jolis filigranes anti-reprographie. De nos jours, marqués par une méfiance galopante, cette protection est devenue un no-brainer, un automatisme. Reste qu'à l'époque, on aurait eu du mal à industrialiser le travail à l'X-Acto qui était requis pour assembler les caractères photocopiés, et on a connu, depuis, un changement d'échelle colossal avec

l'arrivée de l'informatique
Passons sur les traitements de texte antédiluviens, les imprimantes à marguerite avec leur jeu fixe Pica, non, sautons directement à l'innovation apportée par les fontes redéfinissables. Dans un premier temps, seuls les logiciels dédiés à la PAO offraient un menu de polices qui permettait de s'écarter des jeux de caractères standard. Lancer un de ces logiciels, c'était instantanément retrouver la magie des vieux catalogues de fontes, avec ces noms de police complètement exotiques, mélangeant acronymes obscurs et titres ronflants.
Cette variété s'est encore popularisée lorsque les fontes ont été directement gérées au niveau du système d'exploitation, les rendant indifféremment accessibles par tous les programmes. Dès lors, les grossièretés manifestes, les fautes de style qu'on commettait jadis au niveau artisanal sont parfois devenues de vrais fléaux : qui a dit "Ban comic sans" ?

Mark Simonson pointait dès 2001 une autre dérive, qu'il faut à la base être un spécialiste tel que lui pour la constater, mais qui est tout aussi significative puisqu'elle a trait à un aspect méconnu de son métier, la propriété intellectuelle. Son essai "The scourge of Arial" montre comment une police, désormais omniprésente, à détrôné son modèle avoué, Helvetica.
Ou bien encore un effet pervers de cette profusion de styles : l'apparente authenticité de certaines polices d'aspect ancien. Hollywood, par exemple, est coutumier de cette bourde et Simonson avait commencé par dresser une liste de ces emprunts malheureux, mais aussi des usages parfois respectueux des polices d'époque dans un premier article, "The Use (and Misuse of Period Typography in Movies". On retrouvera ses billets ultérieurs dans la même veine, sous l'étiquette Son of typecasting de son blog, créée par la suite devant l'étendue de la tache (ou des dégâts, c'est selon).

Je trouve assez fascinantes les choses mises en lumière ici, c'est un aspect quasi-inconscient qu'un lecteur entretient par rapport à l'écrit qui est analysé. On connaît intuitivement nombre de polices, de par leur contexte (la fonte Chicago naturellement associée au Mac, etc.), et parfois on serait presque à même de pointer du doigt une incohérence dans leur utilisation (Chicago ? Sur la tombe de Houdini ?!?). Et pourtant, il ne s'agit que d'un vecteur, d'une mise en forme de l'écrit. Simonson peut parfois aller au-delà du simple anachronisme, c'est souvent l'incohérence stylistique qu'il démontre, comme le recours à une typographie plutôt qu'à du lettrage peint (ce qui se produit parfois dès le générique²).

En tout état de cause, les erreurs seraient toujours facilement évitables par le biais d'un minimum de recherche. On trouve bien des «accessoiristes» méticuleux, comme par exemple les bons génies gravitant autour de la Miskatonic University, sur cthulhulives.com. Et eux, au moins, ne se contentent pas d'effleurer la surface des catalogues de fontes : en matière de revival typographique, ils font très très fort.

Comme quoi c'est possible ...


(¹) De là, dit-on, le "?" qui termine le nom du groupe Therapy?

(²) En matière d'association inconsciente, le site de Christian Annyas est par exemple une mine : The Movie Title Stills Collection est exactement ce qu'en dit le nom, une galerie de capture des cartons-titres d'une multitude de films des années 20 à nos jours. Là encore, une belle madeleine.

2 commentaires:

Tim a dit…

You make my day (again) !

Daviplane a dit…

You're welcome !